09 octobre 2010

Carte blanche publiée dans la revue axelle HS - juillet-août 2010

« Se vouloir libre, c’est aussi vouloir les autres libres. » Simone de Beauvoir


On dit de la liberté que c’est l’état d’une personne dégagée de toute contrainte, une faculté d’agir sans être entravé par le pouvoir d’autrui. C’est donc la capacité de déterminer soi-même ses propres choix… Cela laisse deviner que c’est une valeur à laquelle tout un chacun est fort attaché, mais qui n’est néanmoins pas des plus faciles à acquérir. L’histoire nous a montré, et l’actualité continue à nous montrer, à quel point ça l’est particulièrement pour les femmes.
Depuis l’après-guerre, les femmes ont pris la décision d’aller chercher leurs droits, celui de disposer de leur corps par exemple ainsi que l’égalité de traitement avec les hommes. Des réunions se sont organisées, des manifestations ont eu lieu, les femmes ont exposé la liberté telle qu’elles la concevaient elles-mêmes. Seules les féministes peuvent dire à quel point ce fut difficile. Heureusement, les résultats se portent à la hauteur du combat, même si ce n’est pas encore gagné…
Cela étant dit, il resterait tout de même à mettre la lumière sur certains points. La quête de liberté est-elle la même pour tous et en l’occurrence pour toutes ? Le droit à l’avortement pour les femmes fut probablement le droit le plus difficile à acquérir. Il relève de la volonté des femmes à disposer elles-mêmes de leur propre corps. Toutefois, une femme est-elle pour autant obligée de se faire avorter pour prétendre être une femme libre et émancipée ? Non, cela paraît évident...
Depuis la deuxième moitié de la dernière décennie, la société a beaucoup changé et les femmes aussi. Le changement s’est fait tant dans les revendications des féministes que dans l’identité et la construction des femmes. L’immigration et la mondialisation ont fait que de nouvelles femmes sont apparues dans la société belge. Etant issue de l’immigration et ayant donc grandi en Belgique, j’ai eu cette chance d’avoir accès aux outils nécessaires à mon émancipation. J’apprenais à l’école l’importance du libre examen tandis qu’à la maison j’apprenais les valeurs qui faisaient de moi un être respectable. J’ai pu, en conséquence, forger ma personnalité et mes convictions et choisir ce qui était le meilleur à adopter pour moi. En accord avec mes convictions complètement féministes, j’ai donc choisi de ne pas exposer mon corps comme unique objet de plaisir visuel aux hommes, encore trop machistes dans notre société, en le couvrant et en portant le foulard. Eh oui, ce foulard qui suscite tant de polémique, ce foulard que j’ai moi-même choisi de porter en toute indépendance comme beaucoup de mes amies et contre qui des politiciens ne s’étant jusqu’alors jamais soucié des problèmes concernant les femmes vont utiliser le féminisme pour faire subir des violences particulièrement racistes et sexistes, notamment en nous exclure du système de l’enseignement et du travail.
La liberté des femmes ne relève-t-elle pas de ce que chacune d’entre elles considère comme étant la liberté ? Comment peut-on prétendre donner plus d’autonomie à des femmes en les ne leur permettant pas de travailler et en les marginalisant? Simone de Beauvoir, LA féministe pour beaucoup, n’avait-elle pas dit que « C'est par le travail que la femme a en grande partie franchi la distance qui la séparait du mâle; c'est le travail qui peut seul lui garantir une liberté concrète » ?
Le droit à l’éducation ou à l’emploi sont des droits fondamentaux, tout comme le droit à la santé. C’est pour défendre ces droits, aujourd’hui trop souvent bafoués, que j’ai décidé de rejoindre le Mouvement pour les droits fondamentaux (MDF) qui a vu le jour suite à la proposition de loi visant à interdire le port du foulard à l’école. Une interdiction qui revient à renforcer des inégalités sociales qui existent déjà. Sous prétexte d’éviter tout « communautarisme », on propose exactement l’inverse : exclure des écoles les jeunes filles qui refuseraient d’enlever leur foulard. À l’heure actuelle, alors que la majorité des écoles belges interdisent le port du foulard, on peut déjà constater les conséquences de cette interdiction : l’existence d’écoles « ghettos » ou... la déscolarisation. C’est là une drôle de manière d’émanciper les filles ! Cette mesure ne fait donc que renforcer des oppressions que les personnes qu’elle vise subissent déjà : en tant que femmes, en tant que jeunes, en tant que musulmanes.
La laïcité et le féminisme, pourtant essentiels pour l’évolution de la société, sont instrumentalisés dans le débat sur le port du foulard : on y promeut une laïcité avec une vision du progrès unilatérale et dogmatique masquant en réalité beaucoup d’intolérance et de paternalisme. L’argument du féminisme, quant à lui, se base sur des clichés et ne se conforme pas à la réalité, évoquée plus haut : celle des femmes opprimées, qu’elles portent ou non le foulard. Car les violences faites aux femmes touchent autant les femmes qui ne portent pas le foulard que les femmes qui le portent. Lutter pour la liberté et l’autonomie des femmes implique de manière évidente pour nous de défendre également les femmes qui sont forcées de porter le foulard : c’est pourquoi nous mettons en avant le slogan « ni interdiction, ni obligation », car dans les deux cas la volonté des femmes est ignorée et on leur impose une décision de manière unilatérale. Pour le MDF, le premier combat féministe est de laisser aux femmes le droit de s’épanouir dans l’enseignement et le travail tout en ayant le droit à disposer d’elles-mêmes, en ce compris le choix de porter ou non un symbole religieux. Je rêve de ce jour où on arrêtera de parler à notre place laissant ainsi croire que nous sommes incapables de nous exprimer. Je suis lassée de ces hommes et femmes qui veulent à tout prix m’imposer une manière d’être qui ne me convient pas en alléguant ma libération. Je ne veux pas d’une « liberté » qui m’étouffe et m’oppresse ! Je suis une femme, j’ai moi-même conçu ma liberté en envisageant de la vivre pleinement et je défendrai cette liberté coûte que coûte : « Ne me libère pas, je m’en charge ! »

Kaoutar Boustani

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